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Interview de Victor Dermo, l’auteur de «Diamond Little Boy»

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Nous avons rencontré Victor Dermo, un mangaka français qui a réalisé un manga sur l’univers Furyo / underground – si je peux appeler ça comme ça – qui s’appelle Diamond Little Boy (Vega). À travers cette interview, il revient sur les origines autobiographiques de son manga, entre violence, rédemption et besoin de raconter ce que beaucoup préfèrent taire.

Il est de Caen, 31 ans et il a fait une œuvre autobiographique, sur sa vie, et il va nous en parler un tout petit peu plus.

Interview Victor Dermo Diamond Little Boy

Est-ce que tu peux nous pitcher un peu Diamond Little Boy, juste pour les nouveaux lecteurs ?

Ça raconte mon histoire. Sur la série complète – là, c’est le premier tome – on est entre mes 13 et mes 19-20 ans !

Guillaume : Et ça aborde quoi exactement de ta vie, et quelle période ? 13-19, c’est le début de l’adolescence…

Victor : Ouais, c’est le moment des premiers traumas, des premières glissades… Un parcours un peu chaotique. Je suis passé par pas mal d’étapes, dont la délinquance, le trafic de stups, etc. Un parcours assez chaotique et un peu violent. Mais voilà, j’ai couché cette histoire sur papier.

C’est ce qui t’a donné envie de le réaliser, ce manga ? C’était surtout pour parler de ton parcours aux plus jeunes ou vraiment pour dire ce qui se passe aussi dans les quartiers ?

Ouais, moi je dirais que c’est plus un témoignage générationnel, tu vois. Ce n’est pas un message pour les plus jeunes, ni un hommage pour les plus vieux.

C’est : je suis d’une génération – je suis né en 94 – et je raconte comment ça se passait dans mon environnement, là où j’ai grandi, et mon histoire. Mais j’ai pas raconté cette histoire parce que ma vie est incroyablement exceptionnelle. Je l’ai raconté justement parce que je sais que d’autres personnes vont s’y retrouver, que tout le monde peut y accrocher.

Guillaume : Je me permets de rebondir sur ce que tu viens de dire, parce que dès la première page de ton manga, tu le dis très bien : « Ce manga raconte mon histoire, mais peut-être aussi la votre ». Et je trouve que ça résume très bien le manga en soi. Et je voulais revenir un peu sur le manga Furyo / Underground, auquel ton manga peut être rattaché. C’est vrai que c’est un genre qui s’est un peu perdu en France.

Victor : Est-ce qu’il s’est déjà trouvé ?

Guillaume : Au début, on va dire qu’il y en a certains qui sont sortis du lot… Et après on a perdu ça. Récemment, il y a une reconnaissance grâce à Tokyo Revengers, qui est sorti et qui a redonné un peu plus de lumière au genre.

Victor : Tokyo Revengers, c’est un Furyo ?

Guillaume : C’est considéré comme tel. Alors, on peut en débattre longtemps, mais c’est réel que ça a redonné ses lettres de noblesse à ce type de mangas.

En parlant Furyo, c’est un style que tu affectionnes particulièrement ?

Pour la petite anecdote, je ne connaissais pas le Furyo, et je croyais que j’avais inventé un style ! Moi, je dis souvent que je fais du street manga, tu vois, le manga de la street.

Et il y a quelques années, quand j’ai commencé à me pré-publier sur Internet, quand j’étais en indépendant, en 2017-2018, j’ai trouvé toute une communauté de gens qui étaient à fond dans le Furyo, et j’ai découvert ce que c’était.

Donc le Furyo, pour ceux qui ne connaissent pas, ce sont des mangas sur le thème de la délinquance juvénile. Après, c’est un peu différent. Moi, je pense que c’est juste parce que c’est facile de classer Little Boy comme « le Furyo français ». Mais la délinquance juvénile au Japon, on parle beaucoup d’années 70-80, des bosozoku, des yankees, etc. Et c’est très édulcoré. C’est de la fiction. Ce sont des crews de 50 contre 5, sur des terrains vagues, à coups de battes.

Au Japon, je pense que ça n’a jamais vraiment existé. C’est anecdotique. Le Japon, c’est pas connu pour sa criminalité. Alors qu’en France, là, tu sors dehors, tu peux te faire arracher ton tel par un petit, normal, tu vois. Donc je pense qu’on a peut-être plus de choses à dire que les Japonais.

Pourquoi penses tu que ce genre d’œuvre n’est pas sorti plus tôt en france ?

Maintenant, on dirait que c’est une évidence : le manga, le rap, le hip-hop, la culture quartier – même je dirais la culture kaïra, tu vois. Au Japon, on dit Furyo. En France, moi, je dirais la culture kaïra en général.

Pourquoi on n’a pas un manga comme ça ? Quand j’ai commencé à le faire, c’était hyper dur. Les gens me prenaient pour un fou. Et même moi-même, avec mon premier chapitre…

La plupart des mecs de quartier, ils kiffent Dragon Ball, One Piece, Naruto à la mort !

Tu vois, on disait tout à l’heure hors caméra que mon chemin est ponctué de rencontres. Mais moi, avant ces premières rencontres qui m’ont dit que je n’étais pas fou, je ne savais pas dans quoi je m’aventurais. Je n’avais aucune référence sur laquelle me caler, aucun mec qui avait fait ça avant moi.

J’ai dû tracer un parcours pour que ce soit lisible par le plus grand nombre. Pour moi, ça a toujours été une évidence. Mais pour la plupart des gens, non.

Et en même temps, on n’a pas non plus la même culture en France qu’au Japon en matière de manga. On aime bien dire que la France est le deuxième pays consommateur de manga au monde après le Japon – mais c’est par rapport au nombre d’habitants.

On ne se rend pas compte : je crois que l’année dernière, ils ont vendu 47 millions de mangas en France. Au Japon , 800 millions. Ce n’est pas qu’on est juste derrière, tu vois. Il y a un monde entre nos deux cultures.

Du coup, la culture manga en France est quand même très tournée vers le shōnen. Et la plupart des mecs de quartier, ils kiffent Dragon Ball, One Piece, Naruto à la mort !

Au Japon, la plupart de mes potes, ils ne consomment même pas ça. Il y a un vrai manque de diversité dans la lecture en France.

Guillaume : C’est exact que c’est aussi très intéressant ce que tu as pu ramener : un côté seinen, un peu dur, mais aussi qui montre une réalité – une réalité de terrain, si je peux dire ça comme ça.

Victor : Ouais. Et puis je crois que la réalité dont je parle dans mon manga, elle n’existe plus aujourd’hui.

Genre à l’époque, on n’avait pas trop de téléphones, pas de réseaux sociaux…

Aujourd’hui, les petits bicravent sur Snapchat, Telegram… Ils ne sont pas dehors chargés comme à l’époque. Il y a 15 ans, ce n’était pas pareil. C’est plus le même truc. Mais je trouve ça cool. C’est dans ce sens que je dis que c’est un témoignage d’une génération.

Quelqu’un qui découvre ça aujourd’hui, en 2010, il y a plein de phases qu’il va découvrir. Je ne suis pas sûr qu’il sache ce que c’est qu’un Skyblog…

Moi, on me disait que j’étais un « rockeur chinois » !

Guillaume : [Rires] J’ai rencontré ma femme sur un Skyblog, c’est pour dire la génération !

Et pour rebondir un peu sur ce que tu disais tout à l’heure, sur le fait de se sentir un peu différent : je l’ai ressenti dans ton manga. Tu semblais un peu différent des autres dans ton quartier, tu t’intéressais à des choses que personne n’aimait forcément… Et ce côté-là, cette découverte de nouvelles choses, je l’ai ressenti.

Quelqu’un qui voulait absolument aller découvrir la musique, autre chose, etc.

Et la référence aux remarques du style « Mais qu’est-ce qu’il fait lui ? Il aime des trucs de Chinois… Il aime un style de musique un peu différent, etc. »

Victor : Ouais, c’est vrai que ça aussi, il faut en parler. Parce qu’aujourd’hui, les mangas, même la culture asiatique en général ,tu vois, avec la montée de la K-pop et tout, c’est la hype de fou.

Mais à l’époque, c’était un truc chelou. Moi, on me disait que j’étais un « rockeur chinois » !

Guillaume : J’ai bien aimé parce qu’il y a une rencontre – je ne vais pas spoiler, allez le lire ! -mais il y a une rencontre avec un personnage qui a un style un peu particulier, qui m’a beaucoup fait penser à ce qu’on pouvait voir au Japon pendant une certaine période.

Victor : Ouais, c’est vrai que cette rencontre-là, même en France à cette époque-là, 2008… On parle de la Japan Mania, ces jeunes fascinés par le Japon. Et vraiment, c’est la génération, moi je l’appelle la génération Skyblog, et tu croisais des filles habillées en Lolita, et tout.

Je ne suis pas de Paris, je suis de Caen, tu vois. Mais je pense qu’à Paris, ça devait encore plus vous toucher, dans le premier arrondissement, etc. Je me rappelle ma première Japan Expo : il y avait des stars des réseaux sociaux… avant les réseaux sociaux !

Genre Princesse Pudding, ce genre de meuf-là… Elle était archi connue sur la toile parce qu’elle s’habillait en decora, gothic lolita, tout rose, très kawaii… Et c’est pareil, ça n’existe plus trop aujourd’hui. Donc tu sais, je remets une couche pour qu’on n’oublie pas.

Guillaume : C’est vrai. Après, comme tu l’as dit, les réseaux sociaux ont tout changé. C’est une nouvelle génération. Moi, je voulais aussi te parler de ton style de dessin : je le trouve très expressif, très réaliste.

Comment tu l’as développé ? Je sais que tu as travaillé avec un studio japonais, Atsu Studio. Tu es un des premiers étrangers, voire le seul, à bosser avec eux. Tu peux nous en dire plus ?

Ouais, bien sûr. Mon parcours pour devenir mangaka professionnel est assez singulier. J’ai un contrat spécial, parce que j’ai un parcours spécial. J’ai pas juste envoyé un dossier d’édition comme ça. Avant, j’ai fait sept ans d’indépendant.

J’ai pris mon temps avant de signer un contrat. Je voulais signer le meilleur possible, avec le meilleur accompagnement possible. Je savais déjà qu’au Japon, les mangakas travaillaient avec des tantō et des assistants. Moi aussi, en indé, j’avais deux assistants : la petite Kenza et Léo.

Et là, l’opportunité s’est présentée de travailler avec Atsu Studio, grâce à mon tantō. Ça a été hyper formateur. Je travaille beaucoup à partir de photos, dans une approche photoréaliste, un peu comme Inio Asano et Naoki Urasawa.

Guillaume : Même Boichi..

Victor : Boichi, c’est un peu différent.

Guillaume : Ouais, il travaille surtout ses décors dans Sun-Ken Rock.

Victor : C’est clairc! Lui, dans ses dessins de personnages, je le ressens moins. Il est tellement fort en character design que le décor, même s’il est parfait, il ne prend jamais le dessus. Moi, mon dessin est parfois un peu plus faible que mes décors.

Guillaume : Mais ça va, tu gères quand même !

Victor : Après, je suis jeune. C’est mon premier tome édité, mon premier manga publié. Je sais que ça va évoluer avec le temps. Et franchement, pour un premier tome, je suis content.

Guillaume : J’en ai connu des premiers tomes de manga français et tu es vraiment pas mal.

Victor : Tu veux dire que ce ne serait pas le meilleur premier tome de manga français que t’aies jamais lu ? [rire]

Guillaume : [rires] Je ne sais pas… Mais on ne doit pas être loin ! Je lis pas mal de mangas français. Et c’est vrai que pendant longtemps, on reprochait aux mangas français un manque de maîtrise du dessin.

Victor : Mais maintenant, y’a des tueurs,  Je te parle de 2014-2015, quand je commençais à m’y intéresser : c’était dramatique. Aujourd’hui, la nouvelle génération, y’a des monstres !

Et justement, comment tu vois l’émergence du manga français en ce moment ? Avec Dreamland, Radiant…  Certains commencent à avoir un peu d’importance au Japon. T’en pense quoi, en tant que mangaka français ?

Déjà, petit disclaimer : je respecte tous les mangakas. C’est un des métiers les plus durs du monde. Faire 200 pages, 20 tomes, ce n’est pas donné à tout le monde. Donc je respecte de ouf.

Mais la scène du manga français, en vrai, je m’en fous un peu. Je ne fais pas de shōnen. Je connais des auteurs, j’ai des amis dans le milieu, mais je ne suis pas concerné. Dreamland, Radiant, ce sont des titres qui ont fait leurs preuves. Mais aussi parce que c’était peut être les seuls aussi.

Dire qu’ils ont une vraie importance au Japon… je ne dirais pas ça. Ce n’est pas dans le top 50, ni même dans le top 1000, je pense. Mais je respecte leur travail. Est-ce que les Japonais savent au moins que ce sont des mangas français ?

Guillaume : Très bonne question. Faudrait demander à un Japonais !

Victor : Ce n’est pas une critique mais si ce n’est pas marqué  « Tony Valente » ou même « Reno Lemaire » sur la couv’, je ne suis pas sûr qu’ils le sachent.

Dreamland, ça se passe à Montpellier, ok, mais en termes de character design, ça reste très shōnen. Est-ce qu’on comprend tout de suite que c’est un manga français par son character design ? Pas sûr !

Regarde les Webtoons coréens : on reconnaît tout de suite leur style graphique. Nous, on est encore dans une recherche de notre identité. Pour défendre, mes collègues, il faut dire qu’on vient de la BD franco-belge, donc est-ce qu’on va vraiment s’approprier un média japonais à 100 % ? C’est comme si les Japonais se mettaient demain à faire du fromage : je ne suis pas sûr qu’ils fassent mieux que nous ! [rires]

Guillaume : C’est une bonne image. Et puis chacun a sa manière de créer, sa petite folie…

Victor : Forcément, maintenant avec mon taf et les années, je commence à croiser tout le monde. J’étais à Angoulême, il y a des frappes, des mecs que j’aime bien, tu vois… mais chacun son délire. Moi, j’ai même pas l’impression d’être dans la même compétition, je ne fais même pas la même chose, tu vois ? C’était hyper intéressant.

Tu connais bakuman ? J’adore ce manga parce qu’il montre plein de profils de mangakas différents. T’as Neijima, le mec ultra passionné, un fou de dessin. Et de l’autre côté, t’as le gars qui déteste dessiner, alcoolique, qui veut juste que sa série s’arrête… Chacun a son style.

Tu connais Senchiro ? Un mangaka français. Lui, c’est clairement le niizuma français. Il me parle pendant qu’il dessine, il adore le processus, il adore la plume. Moi, je suis fukuda, le mec furyo, un peu fou, un peu nerveux, avec un projet bien précis.

Et justement, tu fais partie de ces profils à part. Tu ne fais pas juste un manga, tu racontes un vrai vécu, et en plus tu touches à plein d’univers : mode, musique, rap…

C’est ça. Mon éditeur dit souvent que j’ai fait un manga parce que j’avais un truc à dire.

Je ne suis pas sûr que je puisse faire une autre série. Diamond Little Boy, ce n’est pas juste un manga français, c’est un projet générationnel, culturel, ancré dans la street culture.

Tu parlais des influences tout à l’heure. Est-ce qu’il y a des mangas ou des auteurs qui t’ont vraiment marqué, qui t’ont donné envie de créer ?

Franchement, GTO. Je me le refais tous les ans, parfois même tous les trimestres. C’est mon manga “safe place”. C’est pas le meilleur, mais c’est mon doudou. Mon cousin, tu vois ?

Et puis Nana. Ce manga m’a retourné la tête. Je ne connais personne qui reste tiède face à Nana. Soit t’aimes pas du tout, soit tu tombes raide dingue. Et quand t’aimes, tu finis par t’acheter du mobilier inspiré de l’univers ! C’est comme Harry Potter, tu vois ? Une fanbase hyper intense.

Guillaume : Je fais partie de cette fanbase… en espérant un jour avoir une fin à cette œuvre mythique

Victor : Grave…

Et pour finir, qu’est-ce que tu rêves de faire avec Diamond Little Boy ? Quel est ton objectif ultime ?

Je veux tout faire. Animation, film, fringues, franchise complète.

Demain, si je suis blindé comme LeBron James, j’ouvre une université gratuite dans mon quartier pour former des mangakas !

Hier, on m’a posé la question “C’est quoi ton rêve ?” Bah j’ai pas de limite. Tu vois, Pokémon, ça ne s’est jamais arrêté.

Demain, si je suis blindé comme LeBron James, j’ouvre une université gratuite dans mon quartier pour former des mangakas ! Mais déjà, à court terme, je veux que le public comprenne que ma vision n’est pas déconnante. Que ce qu’on propose, c’est peut-être exotique, mais si ça marche, c’est qu’on avait raison.

Guillaume : Et pour rappel, Diamond Little Boy sort le 20 juin chez Vega. Disponible dans toutes les librairies. Et chez nous, à Kazoku, c’est ultra validé !

Victor : Merci beaucoup !

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