Culture
Interview d’Alice Bernadac, Les tapisseries d’Aubusson & L’imaginaire d’Hayao Miyazaki.
C’est à l’occasion du plus grand salon européen sur le manga et la culture nippone : Japan Expo que la cité internationale de la tapisserie d’Aubusson est venu présenter son travail et des reproductions de sa tenture : L’imaginaire d’Hayao Miyazaki. Notre rédactrice Yasmine Hoshi a donc interviewé la conservatrice du musée, Alice Bernadac, afin d’en savoir plus.
Qu’est-ce que la tapisserie d’Aubusson ?
La tapisserie d’Aubusson est une technique de tissage qui est pratiquée à Aubusson, dans la Creuse, depuis le milieu du XVè siècle et qui nous vient du nord de l’Europe.
C’est ce qu’on appelle de la tapisserie de basse lisse. C’est de la tapisserie tissée sur des métiers qui sont parallèles au sol et face auxquels on s’assoit.
En quoi consiste le travail de conservatrice à la cité internationale de la tapisserie d’Aubusson ?
Mon travail en tant que conservatrice c’est de m’occuper des aspects scientifiques de la gestion de la cité. Comme l’acquisition d’œuvres anciennes, la gestion d’exposition temporaire, de projets de recherche, la restauration des œuvres anciennes, et l’accompagnement des artistes contemporains et le suivis des projets comme l’imaginaire d’Hayao Miyazaki en tapisserie d’Aubusson.
Yasmine : C’est une parfaite transition car j’allais vous demander…
Quelle est la raison de votre présence à Japan Expo ?
Nous sommes ici à Japan Expo pour présenter le savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson et leur travail au public.
En particulier le projet l’imaginaire d’Hayao Miyazaki en tapisserie d’Aubusson qui est une tenture -un ensemble de tapisserie sur une même thématique- dédiée à l’imaginaire d’Hayao Miyazaki.
Comment le projet a vu le jour ?
En 2019, on a signé une convention avec le studio Ghibli.
C’est suite à notre proposition de réalisation de 6 tapisseries d’après des images extraites des films d’Hayao Miyazaki. On a choisi 6 images extraites de 5 films.
Où en êtes vous sur le projet l’imaginaire d’Hayao Miyazaki ?
Pour l’instant, on en a déjà tissé 4 et on prépare le tissage de la 5ème.
Il faut compter entre 6 et 8 mois de préparation avant même de pouvoir commencer à tisser. Le tissage est un travail long et collectif. Avant le travail de tissage, on travaille avec les teinturiers, les filateurs qui fournissent les matières, et les cartonniers.
Jusqu’à présent, quelles sont les tapisseries réalisées ?
Pour l’instant, on a tissé une image extraite de Princesse Mononoké. D’ailleurs elle sera exposée l’année prochaine à l’exposition universelle d’Osaka dans le pavillon de la France ! Ce dont on est très fier ! Il y a la scène du banquet du Sans-Visage extraite du Voyage de Chihiro, une tapisserie toute en longueur : 7 mètres de long.
Il existe également deux scènes du Château Ambulant : dans la chambre de Hauru et celle du Château en tapisserie d’Aubusson. On est sur des grands formats pour la tenture, entre 17 et 31 mètres carrés.
L’idée c’était de garder ce rapport immersif comme avec un écran de cinéma.
Comment vous choisissez les scènes des films ?
C’est un gros travail, Hayao Miyazaki a une filmographie très longue et riche. Il a fallu re-regarder les films, couper le son, parce qu’on a tendance à se laisser entraîner dans l’histoire.
On a cherché dans les films des images qui se prêtaient à des formats assez importants. Il fallait donc un peu de recul, de décor et de matières en arrière-plan.
On a également cherché des images représentatives des thèmes chers à Hayao Miyazaki, qu’il aborde régulièrement dans ses œuvres.
Parfois aussi des images qui permettaient de résonné avec l’histoire de la tapisserie d’Aubusson. La scène de Princesse Mononoké avec la forêt et de très grands arbres ça nous rappelait les verdures d’Aubusson.
Ce sont des tapisseries de paysages tissées au XVIIè et XVIIIè siècle qui ont été une spécialité des ateliers Aubussonnais.
Le choix de la scène de Princesse Mononoké s’est donc fait par rapport aux verdures d’Aubusson ?
C’était effectivement le film où la relation avec la nature est la plus centrale dans l’œuvre de Miyazaki. Cette image n’existe pas tel quel dans le film. Dans le film, c’est un balayage qui part de la cime des arbres et descend progressivement sur les personnages.
On a remis bout à bout les différents plans du balayage pour avoir vraiment toute la monumentalité de la forêt.
C’est une scène importante car c’est la première fois dans le film que les personnages s’aventurent à l’orée de la fôret.
Carton de la tapisserie Princesse Mononoké, image par la cité internationale de la tapisserie d’Aubusson.
La mise bout à bout des plans, était-ce dans le but de recréer le mouvement, de garder de l’animé dans l’inanimé ?
Ce qui nous intéressait surtout c’était de voir les arbres en entier et de voir à quel point les personnages sont petits à côté d’eux, de voir cette importance de la nature.
C’est vrai que dans le cadre de cette tenture le défi était de partir d’images animées et donc rétro éclairés. La tapisserie à une certaine fixité, un certains poids -entre 80 et 90kg-.
Il y’ avait donc cette idée de passer de l’animé à l’inanimé. Un grand défi dans le fait d’apporter, de maintenir un certain dynamisme et de la lumière -beaucoup de lumière- dans les tissages, pour garder ce rapport rétroéclairé des animés.
Que se passe-t-il pour la suite du projet l’imaginaire d’Hayao Miyazaki ?
L’atenture [jeu de mot entre aventure et tenture], l’imaginaire d’Hayao Miyazaki continue à la cité, il y a encore deux tapisseries qui vont être réalisées dans ce cadre.
En ce moment, on prépare le tissage de la sieste de Mei et Totoro. Totoro est LE personnage emblématique des oeuvres d’Hayao Miyazaki, emblème du studio Ghibli.
C’était indispensable pour nous qu’il soit intégré à cette tenture, on a décidé donc d’intégrer cette scène qui rappelle un peu les verdures d’Aubusson. Cette scène où Mei est tombé dans la tanière de Totoro et le rencontre pour la première fois et s’endort sur lui. La caméra s’eloigne par le dessus : la vue aérienne de Totoro sous la foret.
À quelle étape de réalisation en êtes-vous pour la tapisserie « la sieste de Mei et Totoro » ?
En ce moment, on prépare le carton de la tapisserie, c’est le modèle utilisé pour tisser la tapisserie.
Le carton se glisse sous le métier à tisser, c’est ce qui guide les lissiers pour faire l’image. Il fait la taille de la tapisserie finale et est inversé en miroir, car la particularité d’Aubusson c’est de tisser sur l’envers du tissage.
C’est le travail de la dessinatrice-cartonnière Delphine Mangeret !
Voici la reproduction d’un petit morceau derrière nous toutes les formes et les zones colorés sont retracées, définit pour que les lissiers ai une vision bien claires des différents zones de couleurs et des différents passages colorés qu’il va falloir gérer dans la tapisserie.
Peut-on participer au projet ?
Ça va être la plus grande tapisserie de la tenture ! Elle va faire plus de 31 mètres carré, 7 mètres de long sur 30 de haut. Ça va être monumentale et très impressionnants !
Pour nous donner un petit coup de main et nous aider à faire naitre Totoro en tapisserie d’Aubusson, on a lancé une campagne de financement participatif sur la plateforme kisskissbankbank.
Est ce que ce vous envisagez une continuité sur d’autres réalisateurs de films d’animations japonais ?
Pourquoi pas! On a beaucoup de projets et d’idées pour l’avenir, on est ravis de voir l’enthousiasme que suscite ce projet et la tapisserie d’Aubusson : que ce soit auprès des créateurs, du public ou des artistes.
En ce moment on travaille sur une grande tapisserie : 50 mètres carré d’un seul tenant 23 mètres de long sur 2 mètre 15 de haut dédié à Georges Sand. On fêtera en 2026 les 150 ans de la mort de cette immense artiste française.
La cité internationale de la tapisserie a décidé de lui rendre hommage. À travers une œuvre contemporaine, c’est Françoise Pétrovitch qui a conçu la maquette de cette tapisserie.
On n’est pas à court d’idées, ou à court de projets !
Où peut-on voir ces tapisseries ?
Il ne faut pas hésiter à venir à la cité, on est ouvert tous les jours de l’année. Sauf le mardi et quelques semaines au mois de janvier.
On ferme un peu pour travaux, car on a la chance de pouvoir s’agrandir, d’ouvrir de nouvelles salles. Notamment pour accueillir la tenture L’imaginaire d’Hayao Miyazaki.
Jusqu’au mois de janvier il y a une très belle exposition de notre fond contemporain au musée Jean Lurçat à Angers.
Régulièrement on prête des tapisseries à d’autres musées en France ou à l’international. En ce moment, la tapisserie du Château ambulant est au musée de la préfecture d’Hiroshima au Japon dans le cadre d’une exposition avec le Studio Ghibli.