Connect with us

Interview

Interview de VanRah, l’autrice de «Stray Dog»

Published

on

À l’occasion du salon annuel Japan Expo qui se tenait du 3 au 6 juillet, nous avons eu le plaisir de rencontrer VanRah, l’autrice talentueuse derrière le manga Ayakashi – Légendes des 5 royaumes ou encore Stray Dog.

Connue pour son univers foisonnant mêlant mythologie japonaise, intrigues politiques et émotions humaines, VanRah s’est imposée comme une figure incontournable de la scène manga francophone, avec un style à la fois puissant et empreint de sensibilité.

Alors, pour commencer, est-ce que tu peux te présenter pour les personnes qui ne te connaissent pas ?

Moi je suis VanRah et je suis autrice de manga professionnelle depuis un sacré moment, et je suis l’autrice des séries Mortician, Stray Dog, Ayakashi et Neverend, toutes parues chez Glénat Manga.

Tu as travaillé comme ostéopathe pédiatrique pendant près de dix ans avant de devenir mangaka. Comment ce passé influence-t-il ta création artistique ?

Quelle dure question… Alors en fait, de manière totale. Je vais essayer de résumer ça.

À la base déjà, ne serait-ce que pour devenir autrice de bande dessinée, c’est vraiment ma profession d’ostéopathe qui m’a permis de le faire. Moi, je travaillais principalement avec les enfants, c’était mon cœur de métier. Et surtout, j’étais spécialisée dans les déformations et traumatismes du squelette chez le jeune enfant. Et 70 % de ma patientèle étaient — et sont encore aujourd’hui — des enfants maltraités, d’une manière ou d’une autre.

Du coup, la BD est venue comme un moyen thérapeutique. C’était une stratégie de traitement que j’avais trouvée pour pouvoir toucher ma petite patientèle, et les aider à s’impliquer dans leur rétablissement. Parce que quand on travaille avec ce genre d’enfants, on a souvent une sphère adulte défaillante autour d’eux. Donc il fallait trouver un moyen pour que l’enfant devienne acteur de son propre traitement, même tout petit.

Comment lui faire accepter un exercice qui fait mal, qui est long, qui tire ? J’avais eu l’idée de créer de petites BD — très moches au début (rires) — dont les personnages principaux étaient le miroir de mes patients. Je racontais leur quotidien, leurs difficultés, et ça leur permettait d’avoir une voix d’expression. Et s’ils poursuivaient bien le traitement, on pouvait faire des cases supplémentaires : le but, c’était qu’ils « sortent de l’hôpital » dans l’histoire.

Tout a commencé comme ça. Et puis, ça a tellement bien marché que s’est posé un autre problème : une fois qu’ils sortaient de l’hôpital, qu’est-ce qu’on faisait ? Il fallait continuer à leur proposer des histoires.

Le souci, c’est que moi, j’étais nulle en décor ! J’avais pris des cours de médecine, pas de dessin. À l’époque, je lisais beaucoup de comics, surtout Batman et Superman. Et souvent, certains auteurs laissaient leur adresse MSN à la fin des issues pour être contactés. Un soir, pendant une garde de nuit, j’ai écrit à un auteur dont j’adorais le travail pour lui demander comment dessiner des rochers, des arbres, des trucs comme ça. Il m’a répondu ! Et de fil en aiguille, on a commencé à échanger. Il m’a même proposé des petites masterclass en webcam toutes les deux semaines pendant plus d’un an.

Puis un jour, il m’a dit qu’il était malade et qu’il était en retard sur un projet Batman, avec des risques de pénalités financières. Je lui ai proposé mon aide. Il m’a envoyé ses planches, j’ai fait un peu d’encrage dessus, il les a rendues, et il a indiqué qu’il avait eu un assistant : moi.
C’est comme ça que j’ai commencé en tant qu’encreuse de comics. J’ai fait ça deux-trois ans. Et au bout d’un moment, j’ai voulu animer mes propres personnages, raconter mes propres thèmes.

Tu es autodidacte, mais tu as aussi été influencée par les comics ?

La BD était devenue pour moi un exutoire. J’avais envie de débattre à travers le livre, de parler d’autre chose que de super-héros qui sauvent des villes. Mais le format comics ne me convenait pas : c’est un format très contemplatif, avec peu de place pour les émotions. Batman ne dit jamais qu’il est fatigué ou qu’il a peur.

Un jour, chez une amie, j’ai découvert le manga. Et là, révélation. J’ai trouvé ça génial : une mise en page libre, fluide, où on ressent ce que vivent les personnages. C’est exactement ce que je voulais faire.

Alors je me suis exercée, seule, à passer du format comics au format manga. J’ai gardé mes ancrages marqués, très contrastés, mais j’ai adopté la narration du manga.

Et voilà, c’est comme ça que tout a commencé : d’un besoin d’expression, de liberté, et d’humanité.

On retrouve dans ton univers une vibe assez gothique, dark fantasy. Comment choisis-tu l’ambiance de tes projets ?

Ça dépend du projet. Ayakashi, par exemple, n’a pas du tout ce côté gothique. En revanche, Stray Dog et Mortician, qui en est le spin-off, oui. Moi je qualifierais ça de steam fantasy, parce que j’adore tout ce qui est période féérique, avec l’âge de fer européen. C’est une époque où on a créé des structures immenses, magnifiques et parfois très inquiétantes.

J’aime cette ambiance à la fois rassurante et dérangeante.

Et puis, pour être honnête, j’ai travaillé longtemps sur Batman, donc à Gotham. Et quand on pose ses valises à Gotham, on n’en repart jamais vraiment. J’ai gardé cette influence.

La ville Racine, dans Stray Dog et Mortician, s’inspire du gothique architectural, pas du courant littéraire. C’est une ville hybride, construite à partir de morceaux de villes existantes — des toits de Paris, des ruelles de Prague, des clochers d’Europe du Nord…

Ça crée une atmosphère connue, rassurante, mais inquiétante par son gigantisme. Et comme la majorité des scènes se passent de nuit, ça renforce ce côté film noir.

Cette ambiance me permet de poser un cadre sombre où les personnages évoluent. Dans Stray Dog, on parle d’une ségrégation entre deux races : les humains et les Karats. Les Karats sont des animaux à forme humaine, dotés de sensibilité, mais asservis. Cette insécurité permanente, je voulais la traduire par un décor oppressant, inspiré de Gotham : un mélange de passé et de futur, d’architectures qui s’entrechoquent, symbole de leur statut dans ce monde.

Tes mangas sont lus en France, mais aussi à l’étranger. Comment différencies-tu ton audience web de ton audience librairie ?


Au départ, Stray Dog, j’ai eu beaucoup de mal à le faire publier en France, parce que j’étais autodidacte. Quand tu sors d’une école, tu as un carnet d’adresses. Moi, j’envoyais mes planches aux maisons d’édition via les secrétariats, et ça ne dépassait jamais ce stade.

Des anciens éditeurs m’ont alors conseillé une plateforme américaine de BD indé. Aux États-Unis, il y a deux circuits : le comic mainstream, type super-héros, et le comic indé (independent comics). Cette plateforme servait de tremplin pour les auteurs recalés, qui pouvaient publier leurs œuvres pour tester la réaction du public.

Moi, je voulais simplement savoir si mon scénario tenait la route. Et il s’avère que Stray Dog a très bien marché. En trois mois, il faisait près d’un million de lectures par jour. Grâce à ça, j’ai décroché mes premiers contrats.

Le lectorat en ligne est très différent du lectorat français. En France, à l’époque, on ne lisait pas encore beaucoup en ligne. Aujourd’hui, ça change. Mais sur le web, les lecteurs vivent avec toi. Ils attendent chaque chapitre, ils commentent, ils t’encouragent. En librairie, c’est plus discret : les lecteurs achètent, suivent, mais s’expriment moins publiquement.

J’ai la chance d’avoir un lectorat adorable et fidèle. Ils m’ont beaucoup aidée à affiner mes scénarios. Certains me disaient : « Là, tu pourrais aller plus loin », ou « Reviens sur cette scène ». Toujours avec bienveillance.

Et même quand ils m’ont dit des trucs du genre « Apprenez à dessiner, ça fait mal aux yeux » (rires), c’était dit avec humour. Ils m’ont beaucoup apporté, que ce soit en ligne ou en librairie.

Tu es présente cette année sur le stand Glénat. Peux-tu partager un moment marquant avec tes lecteurs ?


Oui, j’en ai un cette année. C’est une jeune lectrice — qui me dépasse de trois têtes — qui m’a dit combien Stray Dog l’avait marquée.

Dedans, on parle de harcèlement, de perte, de deuil. Elle m’a confié que la lecture l’avait aidée dans une période très dure, où elle avait songé à aller beaucoup trop loin. En lisant les aventures des personnages, elle s’est reconnue. Elle s’est dit : « Lui, il traverse ça, il y arrive… pourquoi pas moi ? »

Elle s’est accrochée, et m’a dit que ça l’avait aidée à tenir. Ça m’a énormément touchée, parce que mes personnages sont inspirés de personnes réelles. C’est un hommage à ces gens, à leurs histoires, à leur courage.

Je veux que mes lecteurs puissent se dire : « Je ne suis pas seul. Quelqu’un d’autre a vécu ça, ou le vit. »

Et si mes récits peuvent leur donner un peu d’espoir, leur dire « vous êtes courageux, même si vous ne le savez pas », alors c’est la plus belle récompense.

Aimerais-tu que tes œuvres soient adaptées en animé ? Et laquelle en priorité ?

Oh bah ça, je pense qu’il n’y a personne qui n’aimerait pas ! Et sans hésiter : Stray Dog. Direct.

J’ai tout fait, moi, dans ma folle jeunesse : j’ai même fait des storyboards, des croquis d’animation, des tests de chara design pour voir comment ça rendrait. Je ne dis pas que c’était bien, mais j’avais envie de visualiser à quoi ressemblerait une adaptation animée.

Je pense que Stray Dog s’y prêterait bien. Il y a un vrai dynamisme, des combats intenses, mais surtout une émotion qui pourrait passer magnifiquement à l’écran. Et puis, entre nous, je crois qu’on rêve tous un peu de voir nos personnages bouger pour de vrai, non ? (rires)

Tu as un univers graphique très marqué, reconnaissable immédiatement. Comment as-tu trouvé ton style ?

Ça s’est fait tout seul, en fait. C’est un mélange entre mon héritage comics et mon amour pour le manga. J’ai gardé des lignes d’encrage très fortes, des contrastes appuyés, des jeux de lumière typiques des comics, mais avec la narration et la fluidité du manga.

Je ne me suis jamais dit : “Tiens, je vais créer un style particulier.” C’est juste… moi. C’est un équilibre entre ce que j’aime et ce que je ressens.

Et puis, il y a aussi mon côté ostéopathe qui ressort beaucoup. Je fais très attention à la posture des personnages, à leur façon de bouger, de se tenir. C’est viscéral. Pour moi, le corps raconte déjà une émotion, avant même le visage. Si tu as une épaule rentrée, un dos voûté, ou au contraire une posture tendue, tout ça exprime quelque chose. Donc j’accorde beaucoup d’importance à ça dans mes planches.

Tu as souvent évoqué le fait que tes histoires abordent des thèmes humains, parfois très durs. Est-ce que c’est une manière pour toi d’exorciser quelque chose ?

Oui, complètement. C’est un exutoire.

Je pense que quand on travaille avec la souffrance des autres, à un moment, il faut trouver un moyen d’évacuer. Moi, j’ai toujours eu ce besoin de parler de ce que je voyais, mais sans le faire frontalement.

Dans mes histoires, je parle de perte, de deuil, de rejet, de différence, de reconstruction. Ce sont des choses que j’ai vues, vécues à travers mes patients, et parfois aussi personnellement.

Je ne cherche pas à choquer, ni à faire pleurer. Je veux simplement dire : “Voilà, ça existe. Et malgré tout ça, on peut avancer.”

Si mes lecteurs se reconnaissent un peu dans mes personnages, ou trouvent une forme de réconfort, alors j’ai réussi ce que je voulais faire.

Tu es aussi très proche de ta communauté en ligne. Comment vis-tu cette relation avec tes lecteurs ?

Je les adore. Vraiment. Je crois que sans eux, je n’en serais pas là.

C’est grâce à eux que j’ai pu tenir quand j’avais des doutes, que j’ai continué à croire en mes projets. Ils m’ont accompagnée depuis mes débuts sur les plateformes américaines. C’est une relation très sincère.

Ils me donnent leur avis, parfois cash, mais toujours avec bienveillance. Il y a une vraie complicité. Certains me suivent depuis plus de dix ans, ils ont grandi avec mes séries.
Et j’aime ce lien. Je ne veux pas être une autrice “intouchable”. Je veux rester accessible, humaine, et leur rendre ce qu’ils m’apportent.

As-tu des projets à venir dont tu peux nous parler ?

Alors… oui et non (rires). Il y a des choses en préparation, mais je ne peux pas encore tout dire.

Je travaille sur un nouveau projet, qui sera un peu différent de Stray Dog, plus intimiste. Mais toujours avec cette touche émotionnelle et un univers fort. Et puis, Neverend continue son petit chemin, donc j’avance tranquillement.

Je suis quelqu’un qui aime prendre le temps. J’ai besoin que chaque histoire ait un sens, qu’elle soit juste, sincère. Donc je préfère avancer lentement, mais bien.

Et pour finir : si tu pouvais adresser un message à tes lecteurs, qu’aimerais-tu leur dire ?

Déjà : merci. Merci du fond du cœur.

Merci de me lire, de me suivre, de venir me voir en salon, de partager vos émotions avec moi. C’est précieux, vraiment.

Et ensuite, j’aimerais leur dire : prenez soin de vous. Soyez fiers de qui vous êtes. Peu importe vos blessures ou votre parcours, ce sont elles qui font de vous des personnes uniques.

Et n’oubliez jamais : la beauté, elle se trouve aussi dans les cicatrices.

🌸 manga, fashion, travel 🎥 ex chroniqueuse Gaak

Continue Reading
Click to comment

You must be logged in to post a comment Login

Leave a Reply

TOP ARTICLES